Thorondor
Terre du Milieu.
Au Premier Âge du Monde, quand les montagnes du Nord étaient encore jeunes et que les feux de Morgoth rougissaient l'horizon, vivait Thorondor, le plus grand et le plus noble des Aigles d'Arda. Son envergure égalait la longueur d'une trentaine d'hommes, et ses plumes luisaient d'un éclat d'or et d'argent, comme si la lumière de Telperion et de Laurelin s'était mêlée dans son vol. Il demeurait au-dessus des nuées, dans les pics neigeux des Crissaegrim, gardien silencieux des vallées de Tumladen, où reposait le royaume caché de Gondolin. C'est là qu'il observait les vents du monde, voyant de loin les mouvements des ennemis et les souffles des batailles.
Quand le tonnerre des forges de Morgoth secouait le Thangorodrim, Thorondor s'élevait dans le ciel, ses ailes répandant un éclat pâle comme celui de l'aube sur les ténèbres. Alors les Orques, à sa vue, fuyaient dans la terreur, car nul trait ne pouvait atteindre son vol, et nulle flamme d'en bas ne pouvait ternir sa majesté.
Les anciens disent qu'il servait Manwë Súlimo, seigneur des airs, et qu'à travers lui, la volonté des Valar se faisait encore sentir sur les terres dévastées d'Arda. Ce fut lui qui, en ces jours de deuil, descendit des hauteurs pour secourir les héros d'Elfe et d'Homme : Fingon le hardi, qu'il aida à délivrer Maedhros des chaînes de Thangorodrim ; puis Beren et Lúthien, qu'il porta loin du danger après la chute d'Angband. Et plus tard encore, il apporta les dépouilles de Fingolfin, roi des Noldor, tombé seul devant Morgoth, jusqu'à une cime secrète des montagnes, où il les ensevelit sous un tertre de neige et de pierre.
Sous ses ailes, le monde semblait petit et fragile. Il voyait les royaumes des Elfes s'élever et tomber, les forêts brûler, les fleuves changer de cours, et le Soleil, nouveau-né, percer la brume du Nord. Mais jamais il ne prit part à la vanité des rois ni aux querelles des peuples. Car Thorondor appartenait aux temps anciens, à la pureté d'Arda avant sa souillure. Et tant qu'il plana dans les airs, les Elfes surent qu'une mémoire de Valinor veillait encore sur eux.
Quand vint la dernière guerre du Beleriand, les Aigles descendirent en légions, et Thorondor à leur tête fondit sur les tours du Thangorodrim, brisant les murailles et dispersant les ténèbres. Et lorsque Morgoth fut enfin jeté dans le Vide, les Aigles disparurent dans la lumière du couchant, regagnant les montagnes sacrées de l'Ouest. Dès lors, Thorondor se substitua à la vue des mortels, mais dans le vent des cimes et le cri lointain des grands oiseaux, les Elfes disent qu'on entend encore son nom.
