Caradhras
Terre du Milieu.
Au Troisième Âge du Monde, parmi les cimes orgueilleuses des Montagnes de Brume, aucune ne s'élevait avec autant de majesté ni de fureur que le Caradhras, que les Elfes nommaient Barazinbar, la Montagne Rouge. Ses flancs abrupts étincelaient au Soleil comme de la pierre en feu, et sa cime, souvent dissimulée par des tourbillons de neige, dominait toutes les vallées d'Eregion et du Dimrill. Même au cœur de l'été, on disait qu'il conservait un froid d'hiver dans ses entrailles, comme si la chaleur du monde n'avait jamais pu le pénétrer.
Les anciens racontaient que Caradhras n'était pas seulement montagne, mais esprit redoutable, l'un de ceux qui, avant même l'arrivée des Elfes, s'étaient éveillés dans les profondeurs d'Arda. Sous ses roches se cachaient des voix de tonnerre, et ses vents, lorsqu'ils s'éveillaient, semblaient parler une langue oubliée. Les Dúnedain l'appelaient parfois le Cruel, car sa colère se déchaînait sans raison : les tempêtes qu'il déchaînait semblaient viser les vivants, et nul n'en sortait indemne sans l'aide des Valar.
De ses pentes naissaient des torrents rapides, qui descendaient en rugissant vers les vallées sombres de la Moria. Les forêts qui s'étendaient à ses pieds étaient épaisses et anciennes, mêlant pins et mélèzes, et leurs cimes frémissaient sous le souffle de la montagne comme sous un vent venu d'un autre âge. Mais plus haut, au-delà de la dernière ligne des arbres, s'ouvrait un monde de silence et de glace, où le ciel semblait plus proche, et où les pas résonnaient comme dans une salle vide.
Les Elfes disaient que, jadis, Aulë avait façonné Caradhras avec orgueil, donnant à sa pierre une dureté que rien ne pouvait éroder, et qu'ensuite, quand Morgoth répandit son ombre sur la terre, l'esprit du mont s'endurcit et refusa la paix. Ainsi, même après la chute du Noir Ennemi, Caradhras demeura farouche, indompté, étranger au monde des Hommes et des Elfes.
Et pourtant, dans les jours clairs du Troisième Âge, quand la lumière du matin baignait ses pentes de cuivre et d'or, le Caradhras semblait alors un trône de gloire, le vestige d'Arda encore jeune, où la force et la beauté n'avaient pas encore été séparées. Mais lorsque les vents du Nord descendaient, portant avec eux la neige et la nuit, on se souvenait que cette beauté était celle d'un royaume sans pitié. Car le Caradhras n'appartenait à personne, ni aux Hommes, ni aux Elfes, ni même aux Dwarves qui vivaient dans les profondeurs du Khazad-dûm. Il appartenait à lui-même, et son silence dominait les siècles.